Cette chronique va parcourir l’utilisation d’un instrument : la contrebasse. Mais pas comme on a l’habitude de la voir utilisée dans les groupes de jazz et qui fait que beaucoup pensent qu’elle ne s’utilise que comme ça !
Je me suis découvert une fascination pour la contrebasse jouée à l’archet en 1969 dans une chanson de Nino Ferrer qu’il avait co-écrite avec Daniel Beretta.
Entre Mirza et La maison près de la fontaine, Nino, avait composé une bossa nova qui racontait une histoire d’amour qui se terminait tragiquement par un accident d’avion…
Cette caravelle qui n’est jamais arrivée « Rua Madureira ».
Dès l’intro, on entend cette contrebasse jouée à l’archet et qui revient juste après la révélation du drame, dans une partie instrumentale, très jazz avec un chorus de flutes et… de contrebasse jouée à l’archet.
Pour moi, qui étais encore un gamin, ça a été une révélation !
La rondeur du son, les attaques, les articulations, l’énergie, ce registre sonore qui diffuse un peu de mélancolie mais aussi un peu d’éclat !
La contrebasse est utilisée dans les orchestres classiques, symphoniques ou à cordes principalement avec un archet et plus rarement avec les doigts.
Mais dans le jazz, où l’instrument, très présent, fait partie de la section rythmique, il est utilisé essentiellement en pizzicatti, c’est-à-dire en pinçant les cordes avec les doigts de la main droite.
C’est donc de cette utilisation exceptionnelle de l’archet dans le jazz que j’aimerais vous parler.
Quelques mots d’histoire
Dans le répertoire classique, cet énorme violon qu’est la contrebasse a une grande place comme instrument d’accompagnement et de soutien, qui joue souvent la même partition que les violoncelles mais une octave au-dessous.
De grands compositeurs se sont penchés sur l’instrument et ont écrit des pièces spécialement pour la contrebasse en solo.
La première qui vient à l’esprit est « l’Éléphant » du Carnaval des Animaux de Camille Saint-Saens mais il y en a de nombreuses autres de Boccherini à Ravel et même des transcriptions des suites pour violoncelle de Bach.
Bref, beaucoup d’archet, peu de pizz…
Et dans le jazz ?
Dans le jazz, cet instrument fait partie intégrante de la section rythmique en offrant une passerelle entre le rythme imposé par la batterie et les harmonies proposées par le piano, par exemple.
C’est en particulier, pour cette raison qu’elle est jouée principalement en pizz : faire le lien entre les percussions et les accords.
De nombreux grands contrebassistes ont traversé l’histoire du jazz !
De Charlie Haden à Charles Mingus, de Ron Carter à Niels-Henning Orsted Pedersen ou de l’immense Scott LaFaro au très actuel Avishai Cohen, ils sont très nombreux à avoir enrichi de leur talent et de leur inventivité le monde du jazz.
Mais pour en revenir à notre sujet, la contrebasse et l’archet dans le jazz, certains grands contrebassistes se sont fait une spécialité d’utiliser régulièrement l’archet.
Parmi eux, on trouvera Ray Brown, John Pattitucci, Eddy Gomez et, plus près de nous Renaud Garcia-Fons.
Je voudrais m’arrêter à deux noms, le jovial Slam Stewart et le très demandé Paul Chambers.
Slam Stewart
Le premier, Slam Stewart, rendu célèbre par Slim and Slam, son duo fantaisiste avec le pianiste et guitariste Slim Gaillard avait la particularité de jouer tous ses solos à l’archet.
Le son de sa contrebasse associé au son de sa voix (il fredonnait ses improvisations) donne un résultat musicalement étonnant et techniquement époustouflant, le tout avec une dimension comique délibérée.
On le retrouve dans plusieurs films dont Helzapoppin où il interprète, entre autres, le titre Congeroo avec son compère Slim Gaillard et quelques autres… La scène en question est un modèle d’humour, de rythme et de virtuosité, je vous conseille de la découvrir… allez, procurez-vous même le DVD complet du film , c’est un catalogue des gags du cinéma burlesque et décalé !
Mais je vous propose de retrouver Slam Stewart en 1985, il avait alors 73 ans et avait conservé son jeu énergique et drôle. Il interprète ici “Flat foot floogie” un des succès de son duo avec Slim Gaillard en compagnie de Louie Bellson à la batterie et de Dick Hyman au piano.
Et si vous avez envie de bouger les pieds et de tapoter partout, c’est le moment, ne vous gênez pas !
Paul Chambers
Dans un registre totalement différent, Paul Chambers a été, malgré une très courte carrière, un des contrebassistes les plus demandés des années 50 et 60.
Il commence par apprendre le tuba mais ne trouve pas l’instrument très confortable :
« Je ne m’en sortais pas trop mal, mais c’était quelque chose que de le porter durant les longues parades et j‘ai fini par haïr cet instrument »
Il décide alors de changer d’instrument et choisit… la contrebasse, peut-être parce qu’il est impossible de défiler avec.
Il fait de sérieuses études classiques qui l’amèneront à jouer dans un orchestre à cordes de Détroit.
Il découvre le jazz au début des années 50 et commence très rapidement à tourner avec des grands noms jusqu’au moment où Miles Davis l’invite à rejoindre son quintette.
Il y restera de 1955 à 1963 et ne partira que lorsque Miles lui demandera de jouer de la basse électrique.
Entre temps, il a été le contrebassiste de l’intro de So What où il donnait la réplique à Bill Evans dans l’immense album de Miles Davis, “Kind of blue” en 1959.
Accro à l’alcool et à la l’héroine, il disparaitra en 1969, à l’âge de 33 ans.
Dans l’enregistrement que je vous propose d’écouter, on retrouve, autour de la trompette de Miles Davis, John Coltrane au ténor, Wynton Kelly au piano, Paul Chambers à la contrebasse et Jimmy Cobb à la batterie.
Après une courte introduction à l’archet, Paul Chambers mettra la machine à groove en route pour accompagner les solos de Miles, de Coltrane et de Kelly. Et quand vient son tour, il reprend son archet… et là…
Cet enregistrement est un extrait du 1er set du quintette de Miles enregistré au Konserthuset de Stockholm le 22 mars 1960.
Je vous propose donc de conclure cette chronique sur “On Green Dolphin Street” !