
Avec Thelonious Sphere Monk, la musique moderne— voire la culture moderne—a pris un tour nouveau. Reconnu comme étant un des pianistes les plus inventifs, quelque soit le genre musical, Monk a créé un son et une couleur que même ses admirateurs et disciples les plus fidèles n’ont jamais pu reproduire.
Les « rent parties » étaient des soirées organisées par les locataires d’un immeuble dans les années 20 à New York. Ils invitaient un musicien et passaient un chapeau pour récolter des fonds pour payer leurs loyers.Admis à Peter Stuyvesant, un des meilleurs lycées de la ville, Monk abandonna ses études pour la musique et, vers 1935, il prit un job de pianiste auprès d’un évangéliste itinérant. Au bout de deux ans, il forma son propre quartette pour jouer dans les bars et les petits clubs de la ville jusqu’au printemps 1941 quand le batteur Kenny Clarke le recruta comme pianiste « maison » du Minton’s Playhouse à Harlem.


En 1955, Monk signait avec un nouveau label, Riverside, et enregistrait plusieurs albums extraordinaires qui ont attiré l’attention des critiques. Parmi ceux-ci, Thelonious Monk Plays Duke Ellington, The Unique Thelonious Monk, Brilliant Corners, Monk’s Music et son second album solo, Thelonious Monk Alone.
En 1957, grâce à son amie et mécène La Baronne Pannonica de Koenigswarter, il finit par récupérer sa carte de cabaret et obtint un long et réussi engagement au Five Spot Café avec John Coltrane au saxophone ténor. Wilbur Ware puis Ahmed Abdul-Malik à la contrebasse et Shadow Wilson à la batterie.
C’est à partir de cette période que sa carrière a réellement décollé. Ses collaborations avec, entre autres, Johnny Griffin, Sonny Rollins, Art Blakey, Clark Terry, Gerry Mulligan et l’arrangeur Hall Overton ont été louées par les critiques et étudiées dans les conservatoires. Monk a également dirigé un big band au Town Hall de New York en 1959. C’était un peu comme si le public de jazz avait enfin compris la musique de Monk.
En 1961, Monk a créé un quartette plus ou moins permanent avec Charlie Rouse au ténor, John Ore (puis Butch Warren et Larry Gales) à la contrebasse et Frankie Dunlop (puis Ben Riley) à la batterie. Il s’est produit avec son big band au Lincoln Center (1963) et au Festival de Jazz de Monterey et fit une tournée en Europe en 1961 et au Japon en 1963. En 1962, Monk a aussi signé un contrat avec Columbia, un des plus gros labels du monde et, en février 1964, il devint le 3ème musicien de jazz à faire la couverture de Time Magazine.
Malheureusement, en même temps que son succès, Monk a vu la presse s’emparer de ses prétendues excentricités. les histoires racontées sur son comportement sur scène et dans la vie faisaient de l’ombre aux commentaires sur sa musique. Les medias ont contribué à inventer la légende de Monk – le savant introverti, naïf et débile dont les idées musicales étaient vues comme intuitives plutôt que comme le résultat d’un travail intensif, de ses connaissances et de sa virtuosité. En effet, sa réputation d’introverti (il a été surnommé « Monk le solitaire » par Time) qu’on lui a attribué montre bien qu’il a été longtemps incompris.
Comme l’explique Johnny Griffin, Monk était un peu casanier : « Quand Monk ne travaille pas, il reste chez lui. Quand il travaille, il rentre chez lui dès que c’est terminé et se repose ». Contrairement aux stéréotypes populaires des musiciens de jazz, Monk était très proche de sa famille, il participait à tous les événements familiaux et a composé de nombreux titres pour ses enfants : « Little Rootie Tootie » pour son fils, « Boo Boo’s Birthday » et “Green Chimneys” pour sa fille et un chanson de Noël intitulée « A Merrier Christmas« . Le fait est que la famille Monk est restée unie malgré la vie compliquée que le musicien leur imposait, longues périodes sans travail, manque de revenus, attaques permanentes des critiques, tournées épuisantes, la maladie et la perte d’amis proches.
Les années 60 furent, pout Monk, des années de succès avec des albums tels que Criss Cross, Monk’s Dream, It’s Monk Time, Straight No Chaser et Underground. Mais Columbia/CBS recherchait plutôt un public plus jeune, plus rock and roll et Monk et les autres autres musiciens cessaient d’être unep riorité pour le label. Le dernier enregistrement que Monk fit pour Columbia fut une session avec le big band d’Oliver Nelson en novembre 1968 qui fut finalement un échec aussi bien commercial qu’artistique.
Le désintérêt de Columbia et des problèmes de santé ont écarté le pianiste des studios. En janvier 1970, Charlie Rouse a quitté le groupe et, deux ans plus tard, Columbia a effacé Monk de ses tablettes. Les années suivantes, Monk eut de moins en moins de propositions et de moins en moins d’engagements. Son quartet existait toujours avec Pat Patrick, Paul Jeffrey et son fils Thelonious, Jr., à la batterie. En 1971 et 1972, Thelonious participa à la tournée « Giants of Jazz« , un groupe pour nostalgiques du bebop avec Dizzy Gillespie, Kai Winding, Sonny Stitt, Al McKibbon et Art Blakey qui fit sa dernière apparition en public en juillet 1976. La maladie, la fatigue et peut-être une forme d’épuisement créatif ont eu raison de cette bande de musiciens déjà agés.
Le 5 février 1982, Thelonious Monk ne remit pas d’une attaque cérébrale et mourut 12 jours plus tard.
Aujourd’hui, Thelonious Monk est universellement reconnu comme étant un des plus grands génies de la musique américaine. Ses compositions sont au coeur du répertoire de jazz et sont jouées par des artistes venant de différents univers. Il est le sujet de documentaires à succès, biographies et thèses, hommages populaires à la TV et un institut porte son nom. Le Thelonious Monk Institute of Jazz a été créé pour promouvoir l’enseignement du jazz et encourager les nouvelles générations de musiciens.
Un bel hommage rendu à un artiste exigeant qui a toujours voulu partager ses connaissances musicales en échange d’originalité.
~ (d’après Robin D. G. Kelley, professeur d’Anthropologie, sociologue spécialiste de la population afro-américaine et du jazz).