Duke Ellington est connu pour avoir composé, au cours de sa longue carrière, plus de 3000 titres.
Très productif tout au long de ses presque 50 années d’activités, la discographie du Duke compte plus de 300 enregistrements, dont 71 albums studio, 31 albums live, 5 bandes originales de films et de très très nombreuses compilations.
Mais s’il a arrangé tous les titres qu’il a enregistrés entre 1926 et 1974, que ce soit en big band ou en formation plus réduite, on sait moins que 2 des titres originaux les plus emblématiques de son répertoire n’ont pas été composés par Duke lui-même.
Caravan
Commençons par le fameux Caravan.
Ce titre a été enregistré pour la première fois par Barney Biggard et ses Jazzopators en décembre 1936.
Mais c’est la version enregistrée par Duke Ellington et son orchestre en mars 1937 qui connaitra un succès foudroyant.
Succès qui ne s’est jamais démenti depuis puisqu’on enregistre toujours ce titre aujourd’hui et qu’aucune jam session du monde entier ne manque de mettre à son programme.
Mais qui a vraiment composé ce thème ?
En 1929, le tromboniste portoricain Juan Tizol rejoint l’orchestre de Duke Ellington dans lequel il restera 15 ans.
Pendant cette période, il compose plusieurs thèmes dont Caravan. Peu intéressé par les arrangements, il passera la main à Duke Ellington qui perçoit d’emblée le potentiel du thème.
Irving Mills, éditeur et imprésario d’Ellington, écrira des paroles et négociera les droits de la musique.
Pas convaincu du tout par l’avenir de sa composition, Tizol cédera ses droits à Mills pour 25 $ !
Lorsque Caravan devient un véritable succès, Mills, beau joueur, reversera une partie des droits d’auteur au compositeur.
Le thème a été entendu dans de nombreux films dont, récemment le Whiplash de Damien Chazelle en 2014, où il clôt le film dans un arrangement explosif de John Wasson !
En 1963, Duke Ellington a réuni un trio étonnant (lui-même au piano, Charlie Mingus à la contrebasse et Max Roach à la batterie) pour enregistrer un album non moins étonnant : Money Jungle.
Pour cet album, le trio n’a pas voulu répéter et toutes les pistes (sauf 4) sont enregistrées en une seule prise.
On écoute Caravan extrait de cet album.
Un tour sur La ligne A
Quand on évoque Duke Ellington, on pense également à un autre titre : « Take the ‘A’ Train », évocation de la ligne A du métro de New York qui relie Brooklyn à Harlem.
C’est en se rendant à New York pour y rencontrer Duke Ellington, que Billy Strayhorn, inspiré par le rythme du train, compose le thème.
A son retour, il annoncé à un journaliste de Pittsburg où il vivait :
Billy Strayhorn
Je vais travailler pour Duke, je lui ai joué la musique de la ligne A et il a aimé ça. Je pars m’installer à New York.
En tant que pianiste-compositeur-arrangeur, Billy Strayhorn devient l’un des plus proches collaborateurs du Duke.
Take the ‘A’ Train, qui fut sa première composition pour Duke Ellington, a été enregistrée en 1941 et devint un des grands succès du swing américain pendant la seconde guerre mondiale.
Il se disputera la tête des charts avec une autre histoire de train, le « Chattanooga Choo Choo » de Glenn Miller.
Même si Duke Ellington était déjà connu à cette époque, c’est bien ce titre qui va assurer son succès commercial.
Pour la petite histoire, plus de 50 ans plus tard, un certain Garfield Gillings, artiste habitant à Brooklyn, a découvert dans une poubelle, des plaques pour impression typographique en cuivre.
On retrouve, sur ces plaques, les arrangements pour orchestre de « Take the A train ».
Il s’agit probablement du master qui a permis l’impression de la partition pour l’ensemble des musiciens de l’orchestre.
Enfin, un concert de jazz a été donné le 29 novembre 2015 sur la ligne A du métro de New York pour célébrer le 100ème anniversaire de Billy Strayhorn.
Enregistré des dizaines de fois par Duke Ellington « Take the A train » a été joué par de nombreux autres musiciens, dont Dizzy Gillespie, Dave Brubeck, Ella Fitzgerald, Oscar Peterson et même John Coltrane en duo avec Duke Ellington sous le titre de « Take the Coltrane ».
Difficile de choisir parmi tous ces enregistrements !
C’est la version musclée et lumineuse enregistrée en public à Tokyo en 1981 par Michel Petrucciani accompagné d’Anthony Jackson à la basse et Steve Gadd à la batterie que je vous propose d’écouter pour conclure cette chronique.