Depuis le début de ces chroniques, j’ai évoqué à plusieurs reprises des contrebassistes.
Ceux qui ont accompagné Duke Ellington, NHØP et son duo avec Michel Pettrucciani, Ray Brown ou Slam Stewart…
Mais il y en a un que nous ne pouvons pas oublier, parce qu’il vit près d’ici, qu’il est un pionnier du jazz d’avant-garde en France et qu’il est présent dans notre actualité musicale depuis près de 60 ans.
Et surtout qu’il se renouvelle à chacune de ses sorties, c’est HENRI TEXIER.
Né en 1945 dans une modeste famille bretonne installée à Paris, il commence à apprendre le piano à 8 ans mais, histoire connue de beaucoup, l’enseignement du piano dans les années 50 était plutôt rébarbatif.
Heureusement, un oncle lui fait découvrir le boogie-woogie et le jazz. C’est une révélation et, très rapidement, il constitue un petit orchestre avec des amis.
Puis il découvre des formes plus modernes de jazz, en écoutant Thelonious Monk, Miles Davis, les Jazz Messengers, … toute la richesse du jazz des années 50.
A l’âge de 16 ans, il se prend de passion pour la contrebasse qu’il apprend en autodidacte en écoutant les plus grands dont Wilbur Ware qu’il cite volontiers comme son influence principale.
Inspiré également par Ornette Coleman et Don Cherry, il crée, en 1965, une première formation avec, entre autres, le guitariste Georges Locatelli, le saxophoniste Alain Tabar-Nouval et le trompettiste Jean-Max Albert.
Même s’il n’a laissé que très peu de traces enregistrées, ce groupe reste l’une des toutes premières expressions du Free Jazz en France.
Peu de temps après, il rejoint le European Rythm Machine, le groupe que le saxophoniste américain Phil Woods tout juste installé à Paris, a formé avec le batteur Daniel Humair et le pianiste George Gruntz.
De plus en plus audacieux, il fonde le groupe de rock psychédélique « Total Issue » avec Aldo Romano à la batterie, Georges Locatelli à la guitare, Jean-Pierre Huser au chant, Michel Libretti (guitare) et Chris Hayward (violon).
L’album Total Issue sort en 1971 chez United Artists Records.
Des années 70 aux années 90, Texier vivra de très nombreuses expériences allant du jazz d’avant-garde au rock progressif, en passant par un jazz plus conventionnel où il côtoiera les plus grands tels que Johnny Griffin, Chet Baker, Donald Byrd, Kenny Clarke, Dexter Gordon ou Didier Lockwood.
C’est ainsi qu’on le retrouve en 1995 au sein du trio qui illustre le projet du photographe Guy Le Querrec sur le thème de l’Afrique : Carnet de routes.
Cet album, sorti sur le label Bleu, enregistré avec Aldo Romano à la batterie et Louis Sclavis au saxophone et clarinette basse sera suivi de 2 autres : Suite Africaine en 1999 et African Flashback en 2005.
Il y aurait tellement d’histoires à raconter sur ce projet et ces 3 albums qu’une seule chronique n’y suffirait pas.
En attendant, je vous propose d’écouter l’extrait qui ouvre l’album Carnet de routes : Standing Ovation for Mandela, une composition d’Aldo Romano où l’on retrouve la puissance et la richesse des rythmes qui évoquent parfaitement le voyage proposé par l’album (et que les musiciens et leur accompagnateur photographe ont effectivement vécu).
Compositeur, leader, sideman, Henri Texier a tout connu dans une carrière qui n’a jamais vraiment ralenti.
De ses contributions au jazz breton et les rencontres avec des musiciens du cru, aux collaborations avec des musiciens du monde entier et aux expérimentations avec des musiciens beaucoup plus jeunes que lui, Henri Texier est un insatiable dévoreur de routes, de portées et de scènes.
En 2003, fidèle à ses valeurs et à 4 décennies de musique, il poursuit son aventure à la tête du Strada sextet composé de musiciens qui ont l’âge de son fils Sébastien qui en fait partie :
L’histoire n’est jamais terminée. C’est la musique qui détermine le choix des comportements et les personnes avec qui on va faire la route… la Strada.
On se doute bien qu’un hyperactif comme Henri Téxier ne pouvait pas rester passif pendant le confinement. Pas de concert, pas de public… Il restait la musique !
Dans quelque chose qui ressemble à un geste de résistance, le contrebassiste s’est résigné à jouer à la maison avec son complice de fils :
Il se trouve qu’avec Sébastien, mon fils et mon plus fidèle partenaire depuis près de 30 ans, nous habitons le même village.
Quand on s’est retrouvé enfermés à cause de l’épidémie, on s’est dit qu’au lieu de se morfondre chacun chez soi, on pourrait peut-être braver les interdits et se réunir deux ou trois fois par semaine pour continuer à jouer, tout simplement.
Au départ, c’était juste cela : un geste de survie un peu instinctif, une réponse directe et spontanée à la nécessité où l’on se trouvait de ne pas laisser la musique s’échapper.
C’était parti pour des séances de duo contrebasse / saxophone alto, revisitant des classiques et d’anciennes compositions.
C’est après avoir constitué un répertoire cohérent que l’idée d’enregistrer tout cela est née et le titre évocateur du projet a fleuri naturellement au travers d’un jeu de mot bilingue : « Heteroklite Lockdown » (Confinement hétéroclite avec une petite fantaisie orthographique où hétéroclite s’écrit avec un k).
Avec la complicité du jeune batteur Gauthier Garrigue, lui aussi un fidèle du contrebassiste qui démontre une inventivité et une précision exceptionnelles, l’album a été enregistré par Philippe Teissier du Cros au Club Triton à Paris.
Composé de standards aux arrangements minimalistes (Besame Mucho, What is this thing called love) et de compositions originales, l’album est sorti sur le label « Bleu » fin janvier de cette année.
Et je ne peux pas résister au plaisir de vous proposer d’écouter le magique « Round about midnight » qui ouvre l’album.
On se quitte « pas si longtemps avant minuit »