dièse et bémol

L’histoire d’aujourd’hui, c’est l’histoire d’un standard, un air que tout le monde a entendu et fredonné en rêvant de grandes plages de sable blanc, de soleil, de beach-volley, de maillots de bain échancrés et de caïpirinha.

 

Il s’agit de « La fille d’Ipanema », « The girl from Ipanema » en anglais et « A garota de Ipanema » en version originale.

L’histoire de cette chanson démarre à la fin des années 50 quand un groupe de jeunes gens de Rio de Janeiro a décidé de rapprocher la musique populaire brésilienne du jazz nord-américain en s’inspirant d’artistes qu’ils écoutaient à l’époque tels que Franck Sinatra ou Chet Baker.

Epurer la musique populaire brésilienne d’une partie de ses percussions, ralentir son tempo et créer une nouvelle couleur musicale qui conserve les caractéristiques tropicales de ses origines en y intégrant le calme et la richesse harmonique du jazz, c’est la recette de la bossa nova, la nouvelle vague de la chanson brésilienne qui a vu le jour au début des années 60.

Avec cette fameuse rythmique à la guitare, toujours imitée, jamais égalée, tout en contretemps, mise au point par un des jeunes gens de ce groupe, le chanteur-guitariste Joao Gilberto, sur des musiques d’un autre jeune homme du groupe, Antonio Carlos Jobim, dit Tom Jobim, et des textes du poète-diplomate Vinicius de Moraes, le plus âgés des trois.

Si « Chega de saudade » a été un des tous premiers titres enregistrés par cette génération de musiciens, c’est « A garota de Ipanema » qui a vraiment marqué les débuts internationaux de la bossa nova.

A l’origine, cette chanson a été composée en 1962 pour une comédie musicale « Dirigivel » sur laquelle Jobim et Moraes travaillaient. 

Elle portait le titre de « Menina que passa » (la gamine qui passe) mais les deux auteurs, peu satisfaits de leur œuvre, ont entièrement réécrit en pensant à une jeune fille de 17 ans qu’ils croisaient régulièrement dans leur quartier d’Ipanema à Rio. Et c’est devenu « A garota de Ipanema » (la fille d’Ipanema).

Elle raconte donc l’histoire d’une belle jeune fille qui passe sur le chemin de la mer et qui provoque les soupirs des jeunes gens qui la regardent.

Vinicius de Moraes, lyrique comme à son habitude, dira de ses paroles et de la musique qui leur colle si bien : 

La fille d’Ipanema, c’est le paradigme de la Carioca à l’état brut : une fille bronzée, entre la fleur et la sirène, pleine de lumière et de grâce mais avec un fond de tristesse…

C’est l’enregistrement de ce titre sur l’album Getz/Gilberto qui le rendra célèbre dans le monde entier.

On retrouve ici « The girl from Ipanema », extrait de cet album avec Astrud Gilberto qui chante les paroles anglaises de Norman Gimbel, Joao Gilberto au chant et à la guitare, Tom Jobim au piano et Stan Getz au saxophone. Ils sont soutenus par Sebastiao Neto à la contrebasse et Milton Banana aux percussions et batterie.

Tout le monde connait cet album à la pochette orange qui, à l’instar des albums de Dave Brubeck sortis à la même époque avec des pochettes de Miro ou Fujita, représente une œuvre d’art contemporain de l’artiste portoricaine Olga Albizu.

En plus de « The girl from Ipanema », cet album mythique propose des titres inoubliables comme « Corcovado », « Desafinado » ou « So danço samba ». Il s’agit de la première rencontre entre la toute nouvelle bossa nova et le jazz « West Coast » représenté par Stan Getz.

Enregistré aux studios A&R de New York en mars 1963 avec Phil Ramone à la console, il est produit par Creed Taylor et sort un an plus tard chez Verve. 

Le succès sera foudroyant !

Il truste tous les Grammy Awards en 1965 : meilleur album instrumental (malgré les deux chanteurs), meilleur groupe et meilleur enregistrement. Et surtout, c’est le premier album de jazz à remporter le Grammy du meilleur album de l’année, ce qui ne se reproduira plus jusqu’en 2008 avec l’album « The Joni letters » d’Herbie Hancock.

30 ans plus tard, en novembre 1994, le magazine « Jazz Times » dira de cet album : « il est essentiel pour tous les amateurs de jazz sérieux, il est la preuve que la musique peut être une réussite à la fois musicale et commerciale. La fusion réussie entre les deux cultures fait de cet album un véritable bijou. ».

Petite histoire dans la grande histoire du standard : à l’issue de cet enregistrement, Astrud Gilberto restera à New York et quittera son mari Joao pour Stan Getz… 

…mais cela ne nous regarde pas et l’histoire de la fille d’Ipanema ne s’arrêtera pas là !

Le titre a été repris par plus de 300 interprètes, chanté dans plusieurs langues, dont le français par Jean Sablon, Richard Anthony, Jacqueline François, Nana Mouskouri ou, plus récemment, Lio

Ces diverses interprétations trop souvent loin de la couleur originale du morceau, lui ont valu d’être utilisé comme cliché de « musique d’ascenseur ».

Fort heureusement, de grands noms du jazz ont su lui rendre son énergie et son authenticité originelles. On retrouve parmi eux Shirley Bassey ou Tony Bennett, mais aussi Pat Metheny, Jean-Luc Ponty et Stéphane Grapelli, Archie Shepp, Stevie Wonder et le guitariste Charlie Byrd, auteur également d’un superbe album de bossa nova en duo avec Stan Getz (Jazz Samba).

Mais ma version préférée reste l’interprétation toute personnelle, comme à son habitude, d’Erroll Garner qui nous gratifie d’une de ses introductions totalement déstructurées dont il a le secret.

Pour conclure cette chronique, je vous propose d’écouter cette version extraite de l’album « Up in Erroll’s room » enregistré en 1967 et sorti en 1968 où le pianiste est accompagné de Ike Isaacs à la contrebasse, Jimmy Smith à la batterie et José Mangual aux congas.